Article publié par France-Antilles le 26 décembre 2015.
Une récente enquête de l’Insee montre que le partage du travail domestique progresse en France. Même si les femmes continuent d’en faire deux fois plus à la maison que les hommes. La société martiniquaise suit- elle le même mouvement ?
Encore un petit effort messieurs! Publiée au début du mois de novembre, l’étude de l’Insee sur le travail domestique est un petit événement car cette enquête n’est menée que tous les douze ans! En fait, c’est la troisième du genre effectuée selon la même méthodologie après les enquêtes de 1986 et de 1999. Sans surprise, le millésime 2015 nous montre que les femmes continuent d’en faire deux fois plus à la maison que les hommes mais, bonne nouvelle, cette inégalité entre les sexes diminue. Pas de quoi pavoiser toutefois. Par rapport à 1986, les hommes ne consacrent que 6 minutes de plus par jour aux tâches domestiques, en moyenne 2 heures et 13 minutes par jour. En fait, si la répartition des tâches est moins inégalitaire, c’est que les femmes y consacrent, elles, 1 heure 05 de moins qu’il y a 25 ans, ce qui fait quand même 4 heures quotidiennes… Une amélioration qui est donc moins due à la bonne volonté de la gent masculine qu’au perfectionnement de la technologie domestique, des robots-ménagers aux plats tout préparés qu’il suffit de mettre au micro-onde!
SEULEMENT UN HOMME SUR QUATRE FAIT LES COURSES
L’étude montre quand même que les inégalités se sont bien réduites en matière de préparation des repas, quasiment un homme sur deux participant à la cuisine. Cela dit, pour les femmes, on est à quatre sur cinq… En ce qui concerne le ménage, le différentiel hommes-femmes diminue également et un homme sur trois s’y consacre assez régulièrement. En revanche, seulement un homme sur quatre fait les courses et il n’y a qu’un homme sur dix pour s’occuper du linge! Quant aux soins aux enfants, là ça ne bouge guère et les femmes y consacrent trois fois plus de temps que leur conjoint. Notons qu’en général, plus il y a d’enfants dans un ménage, plus la part de travail domestique effectué par la femme est importante.
Les chiffres ne couvrent pas toute la réalité
« Les hommes choisissent le plus souvent le bricolage, le jardinage, les activités de jeux et de conversation avec les enfants, et à la rigueur, la cuisine et la vaisselle… mais pas les courses ni le soin du linge », rappelle Huguette Bellemare, de l’association féministe Culture Égalité. Pour Huguette Bellemare, de l’association féministe Culture Égalité, « si les femmes exécutent les deux tiers des tâches domestiques, y consacrant en moyenne 4 heures par jour et que les hommes font le tiers restant, soit en moyenne 2 heures 13 quotidiennes, et… 6 minutes par jour de plus qu’en 1986, à ce rythme, l’égalité n’est pas pour ce millénaire, d’autant plus que l’évolution ralentit ».
Mais quelle réalité recouvrent ces chiffres ?
« D’abord, les hommes choisissent le plus souvent le bricolage, le jardinage, les activités de jeux et de conversation avec les enfants, et à la rigueur, la cuisine et la vaisselle… mais pas les courses ni le soin du linge » . Aux femmes donc le reste, y compris les trois quarts restants des soins aux enfants : suivi à l’école, soin d’hygiène, garde en cas de maladie…! « De plus, tout se passe comme si la femme est responsable en cheffe du ménage et que le mari l’« aide » ! Ce « temps de cerveau » des femmes utilisé à l’organisation du « foyer » s’ajoute aux 4 heures par jour de réalisation des tâches… et les rend indisponibles pour tous les autres domaines : professionnel, social et politique! ».
« ON SE FAIT VITE TRAITER DE MAKOUMÈ! »
Nous ne disposons pas de tous ces chiffres pour la Martinique. « Mais l’évolution est certainement la même…» , suppose Huguette Bellemare. « Avec en plus le poids du retard colonial et du machisme ambiant : on se fait vite traiter de makoumè! Les Martiniquaises, qui ont toujours assumé une profession, effectuent donc une double journée, obtenant en compensation le surnom de « Poto mit an » ! » . Jusqu’ici, les femmes ontbricolé des solutions individuelles, rappelle la féministe : équipement en appareils électroménagers, recours à une aide-domestique, ou à des services extérieurs (repas achetés ou pris au dehors, blanchisseries-teintureries…). D’où la création de nouveaux emplois… mais aussi, d’une main-d’oeuvre féminine précaire, mal payée, et souvent recrutée parmi les immigrées. « Mais c’est à l’État d’encadrer ces nouvellesprofessions » , souligne la représentante de Culture Égalité. Et de poursuivre : « Cependant, il n’est pas possible ni peut-être souhaitable d’« externaliser » tous les travaux du foyer. Les femmes doivent apprendre à abandonner l’entière réalisation de tâches à leurs compagnons. Et même à confier à leurs enfants, filles et garçons, des responsabilités en rapport avec leur âge. Plus généralement, elles doivent les éduquer de façon non sexiste. Par exemple, en boycottant les jouets sexués, les publicités et les feuilletons porteurs d’idéologies conservatrices… » .
L’INTERVENTION DES POUVOIRS PUBLICS DOIT DONC ÊTRE RENFORCÉE
Mais ce combat excède leurs seules forces. « La redistribution des rôles à la maison est un enjeu politique, les inégalités ménagères étant à l’origine de toutes les autres » , insiste la militante associative. Selon elle, l’intervention des pouvoirs publics doit donc être renforcée : formation à l’égalité hommes-femmes dans les métiers d’enseignement et d’encadrement des jeunes, et dans toutes les formations professionnelles ; congés parentaux incitatifs pour les pères… Cependant répartir sur les deux parents le poids de la reproduction sociale ne suffit pas. « Il faut développer aussi les infrastructures sociales : accueil des tout petits, activités extra-scolaires accessibles au plus grand nombre, transports en commun publics… » , explique Huguette Bellemare. « Seule la combinaison de multiples solutions peut rendre possible une société où les tâches domestiques, les relations sociales, les activités de loisirs, les mandats politiques, les engagements professionnels seront partagés égalitairement par les femmes et les hommes. Une société dans laquelle les femmes pourront vivre en toute liberté leur statut de citoyenne. Mais cela doit être l’objet d’une décision politique ».