Retour

Il y a 80 ans, les femmes de Martinique votaient pour la première fois !

publié le 2 Juin 2025

En France, l’ordonnance du 21 avril 1944 prise par le gouvernement provisoire du général de Gaulle à Alger stipule que « les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ». C’est l’issue d’une longue bataille des féministes

écrit par
Huguette Bellemare, George Arnauld

En Martinique, les femmes n’ont pas été en pointe dans cette bataille. En effet, entre 1848 (abolition de l’esclavage) et 1945, la tradition des luttes féministes y est réelle mais moins forte qu’ailleurs. Certes, les femmes continuent à être actives et entreprenantes, comme elles l’ont été pendant la servitude, mais leur préoccupation est surtout leur devenir économique et social de nouvelles libres. Aussi sont-elles très actives dans les campagnes électorales schoelchéristes, bissettistes, pécoulistes ainsi que dans la vie politique et sociale, en général.

Cependant, les lois de scolarisation en 1871 en Martinique et les lois laïques de 1881 en France permettent la création du Pensionnat Colonial (laïc) de jeunes filles. Une ouverture pour les femmes de la nouvelle élite. Bien entendu, Les femmes continuent à être assujetties au rôle traditionnel – épouse et mère – mais elles acquièrent rapidement une place importante dans l’éducation scolaire : les institutrices deviennent majoritaires et c’est la naissance d’une élite intellectuelle féminine.

D’autres femmes aussi, dans les milieux populaires (les vendeuses de marché, par exemple, à Saint-Pierre, etc.), sont actives dans la vie sociale et politique.

Les premiers frémissements du féminisme en Martinique

Ils seront liés à la revendication du droit de vote pour les femmes. Dans la première moitié du XXe siècle, cette élite intellectuelle féminine perpétue, avec les sociétés de secours mutuel, les expériences des associations serviles.

  • A Saint-Pierre, Irma Cécette, mutualiste, dès la fin du XIXe siècle, se bat pour le féminisme.
  • A Fort-de-France, en 1903, naissent « La Société de la prévoyance des femmes » et « La Saint-Louis des dames » qui sont dirigées par des femmes.
  • Plus tard, en mai 1919, des femmes soutiennent le programme électoral du député Lagrosillière qui réclame le droit de vote pour les femmes en récompense de leurs efforts pendant la guerre de 1914.
  • En 1925, pour le 20e anniversaire de l’association « Les Dames de Tivoli », Camille Fitte-Duval fait une conférence fameuse sur le droit de vote des femmes avec la collaboration de Césaire Philémon.
  • Le 31 mars 1931, en tant que franc-maçonne et membre de la loge intitulée « Émancipation féminine », c’est Claude Carbet qui réclame, dans une conférence, le droit de vote pour les femmes.
  • En 1931, au Congrès des femmes du monde colonial français, Paulette Nardal prend position pour le droit de votes des femmes au nom de l’UFCV (Union féminine civique et sociale).

C’est dans le contexte de l’entre-deux guerres qu’un plus grand nombre de femmes antillaises intellectuelles et étudiantes en France rencontrent les évolutions qui ont lieu dans le monde. En effet, les femmes votent dans certains états du Canada depuis le XIXe ; depuis 1918, en Angleterre et dans les colonies anglaises (dont celles des Caraïbes) ; depuis 1917, en Russie Soviétique…

Les militantes martiniquaises réagissent très vite à l’annonce du décret de 1944.

  • 20 janvier 1944, dans le projet de constitution française, le droit de vote des femmes est mentionné.
  • En Martinique, les réactions ne se font pas attendre. Dès le 11 juin 1944 c’est la création de l’Union des Femmes de la Martinique, soit six semaines après l’ordonnance. Il s’agit clairement de se battre pour ce droit de vote et pour que ce soient les forces de progrès qui gagnent les élections.
  • Dès juillet, les socialistes prennent position pour ce vote.
  • Décembre 1944, création du « Rassemblement féminin » et du journal « La Femme dans la cité » avec pour principale animatrice Paule Nardal qui multiplie les comités dans les communes. C’est une course de vitesse des gaullistes contre les communistes.
  • 25 mars 1945 : congrès de la jeunesse au Théâtre municipal avec Césaire ; intervention de femmes de l’UFM et de Maitre Bocaly, la première femme avocate de la Martinique

Les femmes martiniquaises votent le 27 mai 1945

  • À Fort-de-France, par exemple, les femmes sont 9 000 inscrites, les hommes 8 700. L’électorat féminin est donc plus nombreux et il en est ainsi dans tout le pays. Mais leur participation est moindre que celle des hommes.
  • Dans les conseils municipaux, sur 533 élus, il y a 57 femmes mais aucune n’est élue maire et seulement 2 sont premières adjointes (à Sainte-Anne et au Morne-Rouge).

Quel constat aujourd’hui ?

Les choses ont-elles radicalement changé en 80 ans ? Bien peu, même si quelques femmes ont été élues dans certains scrutins, grâce à la loi sur la parité. Pour ce qui est des femmes maires, c’est un véritable désert. Aujourd’hui, le nombre de mairesses culmine à 6 : Jenny-Dulys Petit au Morne-Rouge, Marie-Thérèse Casimirius à Basse-Pointe, Aurélie Nella à Ducos, Annick Comier à Fonds-Saint-Denis, Angèle Serbin au Morne-Vert et Patricia Telle à Trinité.

Pourtant, les femmes martiniquaises continuent à être des citoyennes très actives et très engagées pour l’évolution de la société martiniquaise.

Elles continuent leur lutte pour devenir actrices de leur vie, de notre vie.