En France, l’ordonnance du 21 avril 1944 prise par le gouvernement provisoire du général de Gaulle à Alger stipule que
« les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ».
Alors que la France avait été l’un des premiers pays à instaurer le suffrage universel masculin, il aura fallu un long processus pour que ce droit soit étendu aux femmes. En effet, à la Révolution, les femmes étaient considérées comme des « citoyens passifs », aussi, malgré l’appel de Condorcet, elles furent exclues du droit de vote. Exclusion maintenue par la Constitution de 1791. Le code civil de 1804 leur donnait, certes, des droits civils mais leur refusait la citoyenneté politique. Les femmes étaient considérées comme sous influence cléricale et immatures politiquement.
De la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » d’Olympe de Gouges (1791) aux actions des « suffragettes » et aux organisations telles « La ligue française pour le droit des femmes » (1882) et « L’Union française pour le droit des femmes » (1905), des femmes lutteront pour obtenir le droit de vote, étape majeure sur le chemin de la parité et de l’égalité avec les hommes. L’ambiance du Comité Français de Libération Nationale (CFLN) puis du GPRF (Gouvernement Provisoire de la République Française ) qui veulent une « Nouvelle France » amène à reposer la question du droit de vote des femmes. Mais surtout, le fait que plusieurs pays, grâce à la lutte des suffragettes, ont adopté ce droit depuis déjà 70 ans parfois. (Ainsi, les femmes françaises votent pour la 1ere fois le 27 avril 1945 aux élections municipales. Alors que les femmes votent à Cuba depuis 1932 et en République Dominicaine depuis 1942)
En Martinique
Les femmes martiniquaises, des citoyennes actives, préoccupées par le devenir social et économique des nouvelles libres. Les femmes martiniquaises n’ont pas été en pointe, comme les femmes françaises, pour le droit de vote. Entre 1848 (abolition de l’esclavage) et 1945, la tradition des luttes féministes est moins forte qu’ailleurs mais réelle. Les femmes continuent à être actives et entreprenantes pour sortir de leurs conditions, comme elles l’ont été pendant la servitude. Elles ont toujours eu un rôle décisif dans les luttes sociales, comme dans toutes les confrontations sociales de par le monde et dans l’histoire. En France, en 1848, la mobilisation des féministes est certaine. En Martinique la préoccupation est surtout le devenir économique et social des nouvelles libres. Les femmes sont très actives dans les campagnes électorales schœlchéristes, bissettistes, pécoulistes et dans la vie politique et sociale, de 1848 à 1852. Après le coup d’état du 2 décembre 1851 en France, le suffrage universel masculin est supprimé : c’est la mort programmée de toute vie politique.
La création d’une élite de femmes martiniquaises
Les lois de la scolarisation en 1871 en Martinique, les lois laïques de 1881 en France, permettent la création du Pensionnat colonial (laïc) de jeunes filles. Une ouverture pour les femmes de la nouvelle élite. Les femmes continuent à être assujetties au rôle traditionnel – épouse et mère – mais elles acquièrent rapidement de l’importance dans l’éducation scolaire : les institutrices deviennent majoritaires et c’est la naissance d’une élite intellectuelle féminine. A leurs côtés, dans les milieux populaires, les femmes de marché, par exemple à Saint-Pierre, sont actives dans la vie sociale et politique.
Les premiers frémissements du féminisme en Martinique
Ils seront liés à la revendication du droit de vote pour les femmes.
Dans la 1ère moitié du XXème siècle, cette élite intellectuelle féminine perpétue, avec les sociétés de secours mutuels, les expériences des associations serviles.
A Saint Pierre, Irma Cécette, mutualiste dès la fin du XIXème siècle, se bat pour le féminisme.
A Fort de France, en 1903, naissent « La société de la prévoyance des femmes » et « La Saint Louis des dames » qui sont dirigées par des femmes.
Plus tard, en mai 1919, des femmes soutiennent le programme électoral du député Lagrosillière qui réclame le droit de vote pour les femmes en récompense de leurs efforts pendant la guerre de 1914.
En 1925, pour leur vingtième anniversaire, « Les dames de Tivoli » – Camille Fitte Duval et Césaire Philémont – font une conférence fameuse sur le droit de vote des femmes.
Le 31 mars 1931, en tant que franc-maçonne et membre de la loge intitulée « Émancipation féminine », c’est Claude Carbet qui réclame, dans une conférence, le droit de vote pour les femmes.
En 1931, au Congrès des femmes du monde colonial français, Paulette Nardal prend position pour le droit des votes des femmes au nom de l’ U.F.C.V (Union Féminine civique et sociale) dont elle est membre.
C’est dans ce contexte de l’entre-deux guerres qu’un plus grand nombre de femmes antillaises intellectuelles et étudiantes en France rencontrent les évolutions qui ont lieu dans le monde. Les femmes votent dans certains états du Canada depuis le XIXème, en Angleterre et dans les colonies anglaises (dont celles des Caraïbes) ; depuis 1920, en Russie et dans plusieurs pays.
Les militantes martiniquaises réagissent très vite à l’annonce du décret de 1944
20 janvier 1944, dans le projet de constitution française, le droit de vote des femmes est mentionné.
En Martinique, les réactions ne se font pas attendre. Dès le 11 juin 1944 c’est la création de l’Union des Femmes de la Martinique, soit six semaines après l’ordonnance. Il s’agit clairement de se battre pour ce droit de vote et pour que ce soient les forces nouvelles qui gagnent les élections.
Dès juillet, les socialistes prennent position pour ce vote.
Décembre 1944, création du « Rassemblement féminin » et du journal « la Femme dans la cité » avec pour principale animatrice Paule Nardal qui multiplie les comités dans les communes. C’est une course de vitesse avec les communistes.
25 mars 1945 : Congrès de la jeunesse au Théâtre municipal avec Césaire ; intervention de femmes de l’UFM et de Maitre Bocaly, la première femme avocate de la Martinique.
Les femmes martiniquaises votent le 27 mai 1945.
Les femmes sont, par exemple à Fort de France, 9000 inscrites, les hommes 8700. Elles sont donc plus nombreuses à voter et il en est ainsi dans tout le pays. Mais leur participation est moindre que celle des hommes.
Dans les conseils municipaux, sur 533 élus, il y a 57 femmes mais aucune n’est élue maire et seulement 2 sont 1ères adjointes (à Sainte Anne et au Morne Rouge)
Quel constat ?
Les choses ont-elles radicalement changé en 70 ans ? Bien peu, même si quelques femmes ont été élues dans certains scrutins, grâce à la loi sur la parité. Pour ce qui est des femmes maires, c’est un véritable désert. Aujourd’hui, elles cumulent à deux mairesses (Morne Rouge et Basse Pointe). Et pourtant les femmes martiniquaises continuent à être des citoyennes très actives et très engagées pour l’évolution de la société martiniquaise.